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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/333

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de la part de gens toujours impénétrables eux-mêmes et dont les réponses ne sont que des faux-fuyants. On dirait ici que l’amitié même a quelque accointance avec la police. Comment se sentir à son aise avec des hommes si avisés, si discrets quant à ce qui les concerne, et si inquisitifs à l’égard des autres ? S’ils vous voyaient prendre avec eux des manières plus naturelles que celles qu’ils ont avec vous, ils vous croiraient leur dupe : gardez-vous donc de leur laisser voir de l’abandon, de leur témoigner de la confiance : pour des hommes qui ne sentent rien, il y a un amusement à observer les émotions des autres ; mais je n’aime pas à servir à ce divertissement. Nous voir vivre, c’est le plus grand plaisir des Russes ; si nous les laissions faire, ils se plairaient à lire dans notre cœur, à faire l’analyse de nos sentiments, comme on va au spectacle.

La défiance excessive des gens auxquels vous avez affaire ici, à quelque classe qu’ils appartiennent, vous avertit de vous tenir sur vos gardes : le danger que vous courez vous est révélé par la peur que vous inspirez.

L’autre jour, à Péterhoff, un traiteur n’a pas voulu permettre à mon domestique de place de me servir un mauvais souper dans ma loge d’acteur, sans lui en faire déposer le prix d’avance. Notez que la boutique de cet homme si prudent est à deux pas du théâtre. Ce que vous portez à votre bouche d’une