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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/335

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Il faut, autant qu’on peut, éviter d’avoir aucune affaire à traiter avec des esprits dont les modèles et les instituteurs furent toujours ennemis de la chevalerie ; ces esprits sont esclaves de leurs intérêts, et souverains de leur parole ; je me plais à le répéter : jusqu’à présent, dans tout l’Empire russe, je n’ai trouvé qu’une seule personne qui me parût sincère : c’est l’Empereur.

À la vérité la franchise coûte moins à un autocrate qu’elle ne coûte à ses sujets. Pour le Czar parler sans déguisement c’est faire acte d’autorité : le souverain absolu qui ment, abdique.

Mais combien ne s’en est-il pas trouvé qui ont méconnu sur ce point leur pouvoir et leur dignité ! Les âmes basses ne se croient jamais au-dessus du mensonge ; il faut donc savoir gré de sa sincérité même à un homme tout-puissant. L’Empereur Nicolas unit la franchise à la politesse ; et ces deux qualités, qui s’excluent chez le vulgaire, se servent merveilleusement l’une l’autre chez ce prince.

Parmi les grands seigneurs, ceux qui ont bon ton, l’ont parfait : c’est ce dont on peut s’assurer tous les jours à Paris et ailleurs. Mais un Russe de salon qui n’arrive pas à la vraie politesse, c’est-à-dire à l’expression facile d’une aménité réelle, est d’une grossièreté d’âme qui devient doublement choquante par la fausse élégance de ses manières et de son langage.