Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/392

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

On ignore jusqu’au crime de certains prisonniers, qu’on retient pourtant toujours, parce qu’on ne sait à qui les rendre, et qu’on pense qu’il y a moins d’inconvénient à perpétuer le forfait qu’à le publier. On craint le mauvais effet de l’équité tardive, et l’on aggrave le mal, pour n’être pas forcé d’en justifier les excès… : atroce pusillanimité qui s’appelle respect pour les convenances, prudence, obéissance, sagesse, sacrifice au bien public, à la raison d’État…, que sais-je ?… Quand il parle, le despotisme est discret : n’y a-t-il pas deux noms pour toutes choses dans les sociétés humaines ? C’est ainsi qu’on nous dit à chaque instant qu’il n’y a pas de peine de mort en Russie. Enterrer vif, ce n’est pas tuer ! Quand on pense d’un côté à tant de malheurs, de l’autre à tant d’injustice et d’hypocrisie, on ne connaît plus de coupable en prison ; le juge seul paraît criminel, et, ce qui porte au comble mon épouvante, c’est que je reconnais que ce juge inique n’est point féroce par plaisir. Voilà ce

    pays trouverait-on des gens dont le métier ou le passe-temps serait de tromper les étrangers qui les interrogent de bonne foi ? Notez que les Russes les plus graves nous parlent de cette espèce d’hommes, non-seulement sans moquerie et sans indignation, mais avec une sorte de triomphe, comme si l’étranger induit en erreur avait seul à rougir du mensonge employé pour le tromper.
      Au reste je persiste à regarder comme authentiques les détails que je rapporte, et que je crois puisés à de très-bonnes sources ; quant aux inductions que j’en tire, j’en demeure seul responsable.