Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/393

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qu’un mauvais gouvernement peut faire des hommes intéressés à sa durée !… Mais la Russie marche au-devant de ses destinées ; ceci répond à tout. Certes, si l’on mesure la grandeur du but à l’étendue des sacrifices, on doit présager à cette nation l’empire du monde.

Au retour de cette triste visite, une nouvelle corvée m’attendait chez l’ingénieur : un dîner de cérémonie des personnes de la classe moyenne. L’ingénieur avait réuni chez lui, pour me faire honneur, des parents de sa femme et quelques propriétaires des environs : société qui m’eût paru curieuse à observer, si dès le début je n’eusse reconnu que je n’avais rien à y apprendre. Il y a peu de bourgeois en Russie ; mais la classe des petits employés et des propriétaires, obscurs bien qu’anoblis, y représente la bourgeoisie des autres pays. Envieux des grands, mais en butte à l’envie des petits, ces hommes ont beau s’appeler nobles, ils se trouvent exactement dans la position où les bourgeois étaient en France avant la révolution ; les mêmes données produisent partout les mêmes résultats.

Je sentis qu’il régnait dans cette société une hostilité mal déguisée contre la véritable grandeur et contre l’élégance réelle de quelque pays qu’elle fût. Cette roideur de manières, cette aigreur de sentiments à peine cachée sous un ton doucereux et des airs pa-