Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/397

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l’entretien. Un bruit de voix dans la rue attira tout le monde à la fenêtre : c’était une querelle de bateliers ; ces hommes paraissaient furieux ; la rixe menaçait de devenir sanglante ; mais l’ingénieur se montre sur le balcon, et la vue seule de son uniforme produit un coup de théâtre. La rage de ces hommes grossiers se calme, sans qu’il soit nécessaire de leur dire une parole ; le courtisan le plus rompu aux faussetés de cour ne pourrait mieux dissimuler son ressentiment. Je fus émerveillé de cette politesse de manants. « Quel bon peuple ! » s’écria la dame qui m’avait entrepris.

Pauvres gens, pensais-je en me rasseyant, car je n’admirerai jamais les miracles de la peur ; toutefois je jugeai prudent de me taire…

« L’ordre ne se rétablirait pas ainsi chez vous, » poursuivit mon infatigable ennemie, sans cesser de me percer de ses regards inquisitifs.

Cette impolitesse était nouvelle pour moi ; en général j’avais trouvé à tous les Russes des manières presque trop affectueuses à cause de la malignité de leur pensée, que je devinais sous leur langage patelin ; ici je reconnaissais un accord encore plus désagréable entre les sentiments et l’expression.

« Nous avons chez nous les inconvénients de la liberté, mais nous en avons les avantages, répliquai-je.