Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/402

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c’est ce que je reconnaissais avec un dépit comique. J’avais causé avec une femme qui prétendait parler assez bien le français : elle ne le parlait pas mal, quoique moyennant beaucoup de temps entre chaque phrase et d’accent à chaque mot ; elle prétendait connaître la France ; elle la jugeait assez bien, quoi qu’avec prévention ; elle prétendait aimer son pays, elle l’aimait trop ; enfin elle voulait se montrer capable de faire sans fausse humilité les honneurs de la maison de sa fille à un Parisien, et elle m’accabla du poids de tous ses avantages : c’était un aplomb imperturbable, une phraséologie d’hospitalité plutôt cérémonieuse que polie, mais irréprochable au moins aux yeux d’une dame russe du second rang en province.

Je conclus que ces pauvres ridicules tant bafoués sont quelquefois bons à quelque chose, quand ce ne serait qu’à mettre à leur aise ceux qui s’en croient exempts : j’ai trouvé là des personnes désagréablement hostiles. Mais tous les inconvénients de leur conversation portaient sur moi et ne prêtaient nullement à rire à leurs dépens, comme il arrive en pareille circonstance dans les pays à bonnes gens, à esprits naïfs ; la surveillance continuelle qu’elles exerçaient sur elles-mêmes et sur moi me prouvait que rien ne pourrait leur produire une impression nouvelle ; toutes leurs idées étaient fixées depuis vingt