Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/62

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de mépriser le genre humain en masse. Ceci s’applique à tous les hommes puissants, mais surtout aux plus puissants.

Le jardin devenait sombre ; une musique lointaine répondait à l’orchestre du bal, et chassait harmonieusement la tristesse de la nuit ; tristesse trop naturelle dans ces bois monotones, sous ce climat ennemi de la joie.

Un bras détourné de la Néva coule lentement, car ici toute eau paraît dormante, devant les fenêtres de la petite maison de prince qu’habite la duchesse d’Oldenbourg. Ce soir-là, cette rivière était couverte de barques remplies de curieux, et le chemin fourmillait de piétons : foule sans nom, composé indéfinissable de bourgeois aussi esclaves que les paysans, d’ouvriers serfs, courtisans des courtisans qui se pressaient à travers les voitures des princes et des grands pour contempler la livrée du maître de leurs maîtres.

Ce spectacle me paraissait piquant et original. En Russie, les noms sont les mêmes qu’ailleurs, mais les choses sont tout autres. Je m’échappais souvent de l’enceinte destinée au bal pour aller sous les arbres du parc rêver à la tristesse d’une fête dans un tel pays. Cependant mes méditations étaient courtes, car ce jour-là l’Empereur voulait continuer à s’emparer de mon esprit. Avait-il démêlé dans le fond de ma pensée quelque prévention peu favorable, et qui pourtant