Aller au contenu

Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

manité sortant d’une âme que tout a dû contribuer à enorgueillir, m’attendrit subitement. Nous étions en public, je cherchai à déguiser mon émotion ; mais lui, qui répond à ce qu’on pense plus qu’à ce qu’on dit (et c’est surtout à cette sagacité puissante que tient le charme de sa conversation, l’efficacité de sa volonté), il s’aperçut de l’impression qu’il venait de produire et que je cherchais à dissimuler, et, se rapprochant de moi au moment de s’éloigner, il me prit la main avec un air de bienveillance, et me la serra en me disant : « Au revoir. »

L’Empereur est le seul homme de l’Empire avec lequel on puisse causer sans craindre les délateurs : il est aussi le seul jusqu’à présent en qui j’aie reconnu des sentiments naturels et un langage sincère. Si je vivais en ce pays, et que j’eusse un secret à cacher, je commencerais par aller le lui confier.

Tout prestige, toute étiquette et toute flatterie à part, il me paraît un des premiers hommes de la Russie. A la vérité, aucun des autres ne m’a jugé digne de me parler avec autant de franchise que l’Empereur en a mis dans ses conversations avec moi.

S’il a, comme je le pense, plus de fierté que d’amour-propre, plus de dignité que d’arrogance, il devrait être satisfait de l’ensemble des divers portraits que je vous ai successivement tracés de lui, et surtout de l’impression que m’a causée son langage.