Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/14

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j’ai tort sans doute de chercher à me rendre compte de cet incompréhensible prestige. Le tourment de ma pensée, le plus grand défaut de mon style, tient au besoin de définir l’indéfinissable ; ma force se perd à la poursuite de l’impossible, mes paroles n’y suffisent non plus que mes sentiments, que mes passions….. Nos rêves, nos visions, sont aux idées nettes ce qu’un horizon de nuages brillants est aux montagnes dont ils imitent quelquefois la chaîne entre le ciel et la terre. Nulle expression ne peut rendre ces fugitives créations de la fantaisie qui s’évanouissent sous la plume de l’écrivain, comme les brillantes perles d’une eau vive et courante échappent aux filets du pêcheur.

Expliquez-moi ce que peut ajouter à la beauté réelle d’un lieu l’idée que vous allez le quitter. En songeant que je le regarde pour la dernière fois, je crois le voir pour la première.

Notre destin est si mobile, comparé à l’immobilité des choses, que tout ce qui nous retrace la brièveté de nos jours nous inspire un redoublement d’admiration. Le courant que nous descendons est tellement rapide que ce que nous laissons sur le bord nous semble à l’abri du temps ; l’eau de la cascade doit croire à l’immortalité de l’arbre qui l’ombrage ; et le monde nous paraît éternel, tant nous passons précipitamment.

Peut-être la vie du voyageur n’est-elle si féconde