Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/19

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toute la nuit ; cette auréole de nacre fixée sur l’horizon se reflète dans la Néva, qui, les jours calmes, paraît sans courant ; le fleuve, ou plutôt le lac, ainsi éclairé, devient semblable à une immense plaque de métal, et cette plaine argentée n’est séparée du ciel blanc comme elle que par la silhouette d’une ville. Ce peu de terre qu’on voit se détacher et trembler sur l’eau comme une écume apportée par l’inondation, ces petits points noirs et irréguliers, à peine marqués entre le blanc du ciel et le blanc du fleuve, seraient-ils la capitale d’un vaste empire, ou bien tout cela n’est-il qu’une apparence, qu’un effet d’optique ? Le fond du tableau est une toile et les figures sont des ombres animées un instant par la lanterne magique qui leur prête une existence imaginaire, et tandis qu’elles mènent dans l’espace leur ronde silencieuse, la lampe va s’éteindre, la ville va retomber dans le vide, et le spectacle finira comme une fantasmagorie.

J’ai vu l’aiguille de l’église de la cathédrale où sont déposés les restes des derniers souverains de la Russie, se détacher en noir sur la toile blanche du ciel : cette flèche domine la forteresse et la cité : plus haute et plus aiguë que la pyramide d’un cyprès, elle produisait sur le gris de perle du lointain l’effet d’un coup de pinceau trop dur et trop hardi donné par l’artiste dans un moment d’ivresse : un trait qui attire l’œil gâterait un tableau ; il embellit la réalité :