Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/389

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Ma pitié va plus loin, elle s’étend jusqu’à la nation tout entière ; il est à craindre que cette société, égarée par l’aveugle orgueil de ses chefs, ne s’enivre du spectacle de la civilisation avant d’être civilisée ; il en est d’un peuple comme d’un homme : pour que le génie moissonne, il faut qu’il laboure, il faut qu’il se soit préparé par de profondes et solitaires études à porter la renommée.

La vraie puissance, la puissance bienfaisante n’a pas besoin de finesse. D’où vient donc toute celle que vous dépensez ? elle vient du venin que vous renfermez en vous-même et que vous ne nous cachez qu’à peine. Que de ruses, que de mensonges toujours trop innocents, que de voiles toujours trop transparents ne faut-il pas mettre en usage pour déguiser une partie de votre but et pour vous faire tolérer dans un rôle usurpé ! Vous, les régulateurs des destinées de l’Europe ! y pensez-vous ? Vous, défendre la cause de la civilisation chez des nations supercivilisées quand le temps n’est pas loin où vous étiez vous-mêmes une horde disciplinée par la terreur, et commandée par des sauvages… à peine musqués ! Ah ! c’est un problème trop dangereux à résoudre ; vous vous êtes immiscés dans un emploi qui passe les forces humaines. En remontant à la source du mal, on trouve que toutes ces fautes ne sont que l’inévitable conséquence du système de fausse civilisation adopté