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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/43

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Le prince a fait son temps de galères, et maintenant les exilés libérés, comme on dit, sont condamnés à former, eux et leur jeune famille, une colonie dans un coin des plus reculés du désert. Le lieu de leur nouvelle résidence, choisi à dessein par l’Empereur lui-même, est si sauvage que le nom de cet antre n’est pas même encore marqué sur les cartes de l’état-major russe, les plus fidèles et les plus minutieuses cartes géographiques que l’on connaisse.

Vous comprenez que la condition de la princesse (je ne nomme qu’elle), est plus malheureuse depuis qu’on lui permet d’habiter cette solitude (remarquez que dans cette langue d’opprimés, interprétée par l’oppresseur, les permissions sont obligatoires) ; aux mines elle se chauffait sous terre ; là du moins cette mère de famille avait des compagnons d’infortune, des consolateurs muets, des témoins de son héroïsme : elle rencontrait des regards humains qui contemplaient et déploraient respectueusement son martyre inglorieux, circonstance qui le rendait plus sublime. Il s’y trouvait des cœurs qui battaient à sa vue ; enfin, sans même avoir besoin de parler, elle se sentait en société, car les gouvernements ont beau faire de leur pis, la pitié se fera jour partout où il y aura des hommes.

Mais comment attendrir des ours, percer des bois impénétrables, fondre des glaces éternelles, franchir