Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/44

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les bruyères spongieuses d’un marais sans bornes, se garantir d’un froid mortel dans une baraque ? comment enfin subsister seule avec son mari et ses cinq enfants, à cent lieues, peut-être plus loin, de toute habitation humaine, si ce n’est de celle du surveillant des colons ? car c’est là ce qu’on appelle en Sibérie coloniser !…

Ce que j’admire autant que la résignation de la princesse, c’est ce qu’il lui a fallu trouver dans son cœur d’éloquence et de tendresse ingénieuse pour surmonter la résistance de son mari, et pour réussir à lui persuader qu’elle était encore moins à plaindre en restant avec lui, en souffrant comme lui, qu’elle ne le serait à Pétersbourg entourée de toutes les commodités de la vie, mais séparée de lui. Quand je considère ce qu’elle est parvenue à donner et à faire recevoir, je reste muet d’admiration ; c’est ce triomphe du dévouement récompensé par le succès, puis qu’il est consenti par l’objet de tant d’amour, que je regarde comme un miracle de délicatesse, de force et de sensibilité ; savoir faire le sacrifice de soi-même, c’est noble et rare ; savoir faire accepter un pareil sacrifice, c’est sublime…

Aujourd’hui, ce père et cette mère dénués de tout secours, sans force physique contre tant d’infortunes, épuisés par les trompeuses espérances du passé, par l’inquiétude de l’avenir, ensevelis dans leur soli-