Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/278

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spectres ; alors que de terreurs, que de regrets ne le martyriseraient-ils pas ! Combien je désirais lui faire savoir que le zèle d’un inconnu lui tenait lieu des infidèles protecteurs sur lesquels il ne devait plus compter ! Mais tout moyen de communication m’était refusé ; aussi me sentais-je doublement obligé de le servir par l’impossibilité même où j’étais de le consoler ; les lugubres hallucinations du cachot me pour suivaient au soleil, et mon imagination renfermée sous une voûte obscure, me voilait le ciel qui brillait sur ma tête et m’ôtait ma liberté pour me représenter incessamment les apparitions de la nuit dans des souterrains ou des donjons ténébreux ; enfin, dans mon trouble, oubliant que les Russes appliquent l’architecture classique même à la construction des prisons, je me voyais confiné sous terre ; je rêvais non de colonnades romaines, mais de trappes gothiques ; je devenais conspirateur, j’étais coupable, exilé, frappé, j’étais fou avec le prisonnier… inconnu !… Eh bien, si mon imagination m’eût retracé moins vivement toutes ces choses, j’aurais mis moins d’activité, moins de persévérance dans mes démarches en faveur d’un malheureux qui n’avait que moi pour appui, et qui ne pouvait m’intéresser qu’à ce titre. J’étais poursuivi par un spectre, et pour m’en délivrer j’aurais percé des murs ; le désespoir de mon impuissance me jetait dans une rage égale, peut-être, aux tourments