Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/315

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans les bras l’un de l’autre en disant : « Dieu soit loué, nous pouvons respirer librement et penser tout haut !… »

Beaucoup de gens, sans doute, ont éprouvé la même sensation : pourquoi nul voyageur ne l’a-t-il exprimée ? C’est ici que j’admire, sans le comprendre, le prestige que le gouvernement russe exerce sur les esprits. Il obtient le silence, non-seulement de ses sujets, c’est peu, mais il se fait respecter même de loin par les étrangers échappés à sa discipline de fer, On le loue, ou au moins l’on se tait : voilà un mystère que je ne puis m’expliquer. Si un jour la publication de ce voyage m’aide à le concevoir, j’aurai une raison de plus pour m’applaudir de ma sincérité.

Je devais retourner de Pétersbourg en Allemagne par Wilna et Varsovie. J’ai changé de projet.

Des malheurs tels que ceux de la Pologne ne sauraient être attribués uniquement à la fatalité : dans les infortunes prolongées, il faut toujours faire la part des fautes aussi bien que celle des circonstances. Jusqu’à un certain point les nations comme les individus deviennent complices du sort qui les poursuit ; elles paraissent comptables des revers qui les atteignent coup sur coup, car à des yeux attentifs les destinées ne sont que le développement des caractères. En apercevant le résultat des erreurs d’un peuple puni avec tant de sévérité, je ne pourrais m’abstenir