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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/407

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Russie, même dans la belle saison, est pernicieuse pour quiconque dort en plein air.

— On vous faisait camper ?

— Il le fallait bien pendant les marches militaires qu’on nous imposait.

— Ainsi, par des froids de vingt à trente degrés, vous manquiez d’abris ?

— Oui, mais c’est l’inhumanité du climat, ce n’est pas celle des hommes qu’il faut accuser de nos souffrances dans ces haltes obligées.

— Les hommes n’ajoutaient-ils pas quelquefois leurs inutiles rigueurs à celles de la nature ?

— Il est vrai que j’ai été témoin de traits d’une férocité digne des peuples sauvages. Mais je me distrayais de ces horreurs par mon grand amour de la vie ; je me disais : Si je me laisse emporter à l’indignation, je serai doublement exposé ; ou la colère m’étouffera, ou nos gardiens m’assommeront pour venger l’honneur de leur pays. L’amour-propre humain est si bizarre que des hommes sont capables d’assassiner un homme pour prouver à d’autres qu’ils ne sont pas inhumains.

— Vous avez bien raison….. Mais tout ce que vous me dites là ne me fait pas changer d’avis sur le caractère des Russes.

— On nous faisait voyager par bandes : nous couchions hors des villages dont l’entrée nous était interdite à cause de la fièvre d’hôpital que nous traînions après nous. Le soir nous nous étendions à terre, enveloppés dans nos manteaux, entre deux grands feux. Le matin, avant de recommencer la marche, nos gardiens comptaient les morts, et, au lieu de les enterrer, ce qui eût exigé trop de temps et de peine à cause de