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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/408

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l’épaisseur et de la dureté de la neige et de la glace, ils les brûlaient ; par ce moyen on pensait arrêter les progrès de la contagion ; on brûlait vêtements et corps tout ensemble ; mais, le croiriez-vous ? il est arrivé plus d’une fois que des hommes en vie ont été jetés au milieu des flammes ! Un instant ranimés par la douleur, ces malheureux achevaient leur agonie dans les cris et dans les tourments du bûcher !

— Quelle horreur !

— Il s’est commis bien d’autres atrocités. Chaque nuit la rigueur du froid nous décimait. Quand on trouvait quelque édifice abandonné à l’entrée des villes, on s’emparait de ces mauvais bâtiments pour y établir notre gîte. On nous entassait à tous les étages de ces maisons vides. Mais les nuits que nous passions ainsi abrités n’étaient guère moins rudes que les nuits du bivouac, parce que, dans l’intérieur du bâtiment, on ne pouvait faire du feu qu’à certaines places, tandis qu’en plein air au moins nous en allumions tout autour de notre campement. Ainsi, beaucoup de nos gens mouraient de froid dans leurs chambres faute de moyens de se réchauffer.

— Mais pourquoi vous faire voyager pendant l’hiver !

— Nous aurions donné la peste aux environs de Moscou ; souvent j’ai vu emporter des morts que les soldats russes avaient été prendre au second étage des édifices où nous étions parqués ; ils traînaient ces corps par les pieds avec des cordes liées autour des chevilles ; et la tête suivait, frappant et rebondissant de marche en marche tout le long de l’escalier depuis le haut de la maison jusqu’au rez-de-chaussée. Ils ne souffrent plus, disait-on, ils sont morts !

— Et vous trouvez cela très-humain ?

— Je vous raconte ce que j’ai vu, monsieur ; il est même