Page:Cuvier - Recueil des éloges historiques vol 1.djvu/243

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vaux, et qui déterminèrent la marche de ses idées et le caractère du reste de sa vie.

Que l'on se représente un homme de vingt et un ans, quittant pour ainsi dire les bancs de l'école, encore en grande partie étranger à tout ce qu'il y a de routinier dans nos sciences et dans nos méthodes, presque sans livres, et ne conservant guère que par le souvenir les traditions de ses maîtres : qu'on se le représente transporté subitement dans un pays barbare, avec une poignée de compatriotes que le langage seul rapproche de lui, mais qui ignorent ses recherches ou les dédaignent ; livré par conséquent pendant plusieurs années à l'isolément le plus absolu, sur une terre nouvelle, dont les météores, les végétaux, les animaux, les hommes ne sont point ceux de la nôtre. Ses vues auront nécessairement une direction propre, ses idées une tournure originale ; il ne se traînera point dans nos sentiers battus ; et si d'ailleurs la nature lui a donné un esprit appliqué et une imagination forte, ses conceptions porteront l'empreinte du génie. Mais, n'ayant point à les faire passer dans l'esprit des autres, sans adversaires à combattre, sans objections à réfuter, il n'apprendra point cet art délicat de convaincre les esprits sans révolter les amours-propres, de détourner insensiblement les habitudes vers des routes nouvelles, de contraindre la paresse à recommencer un nouveau travail. D'un autre côté, toujours seul avec lui-même et sans objet de comparaison, prenant chaque, idée qui lui vient pour une découverte, jamais exposé à ces petites luttes de société qui donnent si vite à chacun la mesure