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Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/131

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avis qu’ils portent ce jugement ; au contraire, je leur ay dit cent fois qu’il n’y avoit point d’apparence que vous fuſſiez un Chêne, puis que les plus ſenſez tombent d’accord que vous n’eſtes qu’une bûche. Pour moy qui penſe vous connoiſtre de plus longue main, je leur ſoûtiens qu’il eſt tout à fait éloigné du vray-ſemblable d’imaginer que vous ſoyez un arbre ; car encore que cette partie ſuperieure de voſtre tout (qu’à cauſe du lieu de ſa ſcituation on appelle voſtre teſte) ne faſſe aucune fonction raiſonnable, ny meſme ſenſitive, je ne me perſuade pas pourtant qu’elle ſoit de bois, mais je m’imagine qu’elle a eſté privée de l’uſage des ſens, à cauſe qu’une ame humaine n’eſtant pas aſſez grande pour animer de bout en bout un ſi vaſte Coloſſe, la Nature a eſté contrainte de laiſſer en friche la Région d’enhaut : Et en effet, y a-t’il quelqu’un qui ne ſçache que quand elle logea ce qu’en d’autres on nomme l’Eſprit dans voſtre corps demeſuré, elle eut beau le tirer & l’allonger, elle ne pût jamais le faire arriver juſqu’à voſtre cervelle ; Vos membres meſme ſont ſi prodigieux, qu’à les conſiderer, on croit que vous avez deux Geans pendus au bas du ventre, à la place de vos cuiſſes ; & vous avez la bouche ſi