Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/51

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ſens, je ne puis encore empêcher ma veue de prendre au moins ce Firmament imaginaire pour un grand lac ſur qui la terre flote ; le Roſſignol qui du haut d’une branche ſe regarde dedans, croit eſtre tombé dans la Riviere : Il eſt au ſommet d’un Chêne, & toutefois il a peur de ſe noyer ; mais lors qu’après s’eſtre affermy de l’œil & des pieds, il a diſſipé ſa frayeur, ſon portrait ne luy paroiſſant plus qu’un rival à combattre, il gazoüille, il éclate, il s’égoſille ; & cét autre Roſſignol, ſans rompre le ſilence, s’égoſille en apparence comme luy, & trompe l’ame avec tant de charmes, qu’on ſe figure qu’il ne chante que pour ſe faire oüir de nos yeux ; je penſe meſme qu’il gazoüille du geſte, & ne pouſſe aucun ſon dans l’oreille, afin de répondre en meſme temps à ſon ennemy ; & pour n’enfraindre pas les loix du Païs, dont le peuple eſt muet, la Perche, la Dorade, & la Truite qui le voyent, ne ſçavent ſi c’eſt un Poiſſon veſtu de plumes, ou ſi c’eſt un Oyſeau dépoüillé de ſon corps ; elles s’amaſſent autour de luy, le conſiderent comme un Monſtre ; & le Brochet (ce Tyran des Rivieres) jaloux de rencontrer un Eſtranger ſur ſon Trône, le cherche en le trouvant, le touche & ne le peut ſentir, court