Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/56

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dant l’ancre & les voiles ſont levées : Déja les Litanies des paſſagers, ſe mêlent aux blaſphemes des Matelots ; nos vœux ſont entrecoupez de hoquets, Ambaſſadeurs tres-certains d’un degobillis tres-penible. Bon Dieu ! nous ſommes attaquez de toute la Nature : Il n’eſt pas juſqu’à noſtre cœur qui ne ſe ſoûleve contre nous ; la Mer vomit ſur nous, & nous vomiſſons ſur elle. Une ſeule vague quelquefois nous envelope ſi generalement, que qui nous contempleroit du rivage prendroit noſtre Vaiſſeau pour une Maiſon de verre où nous ſommes enchaſſez ; l’eau ſemble exprés ſe boſſuer pour nous faire un Tableau du Cimetiere : & quand je preſte un peu d’attention, je m’imagine diſcerner (comme s’ils partoient de deſſous l’Océan) parmy les effroyables mugiſſemens de l’Onde, quelques verſets de l’Office des Morts : Encore l’eau n’eſt pas noſtre ſeule partie ; le Ciel a ſi peur que nous échapions, qu’il aſſemble contre nous un bataillon de Metheores ; Il ne laiſſe pas un Atome de l’air qui ne ſoit occupé d’un boulet de grêle ; les Cometes ſervent de torches à celebrer nos funerailles ; tout l’Horiſon n’eſt plus qu’un grand morceau de fer rouge ; les Tonnerres tenaillent l’oüye par l’aigre imagination