Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/295

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terre, on vit germer par entre les os déjà blancs de leurs squelettes, deux jeunes arbrisseaux dont la tige et les branches, se joignant pêle-mêle, sembloient ne se hâter de croître qu’afin de s’entortiller davantage. On connut bien qu’ils avoient changé d’être, sans oublier ce qu’ils avoient été ; car leurs boutons parfumés se penchoient l’un sur l’autre, et s’entr’échauffoient de leur haleine, comme pour se faire éclore plus vite. Mais que dirai-je de l’amoureux partage qui maintenoit leur société ? Jamais le suc, où réside l’aliment, ne s’offroit à leur souche, qu’ils ne le partageassent avec cérémonie ; jamais l’un n’étoit mal nourri, que l’autre ne fût malade d’inanition ; ils tiroient tous deux par dedans les mamelles de leur nourrice, comme vous autres les tetez par dehors. Enfin ces Amans bienheureux produisirent des pommes, mais des pommes miraculeuses qui firent encore plus de miracles que leurs pères. On n’avoit pas sitôt mangé des pommes de l’un, qu’on devenoit éperdument passionné pour quiconque avoit mangé du fruit de l’autre. Et cet accident arrivoit quasi tous les jours, parce que tous les jets de Pylade environnoient ou se trouvoient environnés [de ceux] d’Oreste ; et leurs fruits presque jumeaux ne se pouvoient résoudre à s’éloigner.

« La Nature pourtant avoit distingué l’énergie de leur double essence avec tant de précaution, que quand le fruit de l’un des arbres étoit mangé par un Homme, et le fruit de l’autre arbre par un autre Homme, cela engendroit l’amitié réciproque ; et quand la même chose arrivait entre deux personnes de sexe différent, elle engendrait l’amour, mais un amour vigoureux qui gardoit toujours le caractère de sa cause ; car encore que ce fruit proportionnât son effet à la puissance, amollissant sa vertu dans une Femme, il conservoit pourtant toujours je ne sais quoi de mâle.