Page:Cyvoct - Souvenirs de madame Recamier.djvu/46

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dérober des grappes : Juliette faisait le guet. Ce manège se renouvela si souvent que le voisin s’aperçut de la disparition de ses raisins. Il ne lui fut pas difficile de conjecturer d’où pouvaient venir les picoreurs de sa vigne. Furieux, il se met en embuscade, et quand les deux enfants sont bien occupés à prendre le raisin, il leur crie d’une voix tonnante : « Ah ! je prends donc enfin mes voleurs ! » D’un saut le petit garçon disparut dans son jardin. La pauvre Juliette, restée au sommet du mur, pâle et tremblante, ne savait que devenir. Sa ravissante figure eut bien vite désarmé le féroce propriétaire, qui ne s’était pas attendu à avoir affaire à une si belle créature en découvrant les maraudeurs de son raisin. Il se mit en devoir de rassurer et de consoler la jolie enfant, promit de ne rien dire aux parents et tint parole : cette aventure fit cesser toute promenade sur le mur.

Juliette était extrêmement bien douée pour la musique ; on lui donna des leçons de piano. Le penchant qu’elle avait montré dans son enfance devint chez elle avec les années un goût très-vif, et, jeune femme, Mme Récamier fit de la musique avec les plus habiles artistes de son temps. Elle jouait non‑seulement du piano, mais de la harpe, et prit de Boïeldieu des leçons de chant. Sa voix était peu étendue, expressive, harmonieusement timbrée. Elle cessa de chanter de très-bonne