Page:Cyvoct - Souvenirs de madame Recamier.djvu/47

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heure ; elle abandonna la harpe, mais elle trouva, jusqu’à la fin de sa vie, dans le piano, de vraies et vives jouissances. Juliette avait eu de tout temps une mémoire musicale étendue : elle aimait à jouer de mémoire, pour elle-même, seule, à la chute du jour. Je l’ai entendue souvent exécuter ainsi dans l’obscurité tout un répertoire de morceaux des grands maîtres, d’un caractère mélancolique, et en éprouver une impression telle, que les larmes inondaient son visage. Cette habitude contractée de bonne heure, cet heureux don de retenir les morceaux qui la frappaient, permirent à Mme Récamier dans un âge avancé, alors que la cécité avait voilé ses yeux, de jouer encore et d’endormir de tristes souvenirs à l’aide de la musique.

L’éducation de Juliette se faisait chez sa mère qui la surveillait avec grand soin. Mme Bernard aimait passionnément sa fille, elle était orgueilleuse de la beauté qu’elle annonçait : ayant le goût de la parure pour son propre compte, elle n’y attachait pas moins d’importance pour sa fille et la parait avec une extrême complaisance. La pauvre Juliette se désespérait des longues heures qu’on lui faisait employer à sa toilette, chaque fois que sa mère l’emmenait au spectacle ou dans le monde, occasions que Mme Bernard, dans sa vanité maternelle, multipliait autant qu’elle le pouvait. Ce fut ainsi qu’elles allèrent à Versailles pour assister à l’un des derniers grands