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Page:Cyvoct - Souvenirs de madame Recamier.djvu/63

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célèbre qui devint sa plus intime amie ; je m’empresse de l’insérer ici.

« Un jour, et ce jour fait époque dans ma vie, M. Récamier arriva à Clichy avec une dame qu’il ne me nomma pas et qu’il laissa seule avec moi dans le salon, pour aller rejoindre quelques personnes qui étaient dans le parc. Cette dame venait pour parler de la vente et de l’achât d’une maison ; sa toilette était étrange ; elle portait une robe du matin et un petit chapeau paré, orné de fleurs ; je la pris pour une étrangère. Je fus frappé de la beauté de ses yeux et de son regard ; je ne pouvais me rendre compte de ce que j’éprouvais, mais il est certain que je songeais plus à la reconnaître et, pour ainsi dire, à la deviner, qu’à lui faire les premières phrases d’usage, lorsqu’elle me dit avec une grâce vive et pénétrante, qu’elle était vraiment ravie de me connaître, que M. Necker, son père… À ces mots, je reconnus Mme de Staël ! je n’entendis pas le reste de sa phrase, je rougis, mon trouble fut extrême. Je venais de lire ses Lettres sur Rousseau, je m’étais passionnée pour cette lecture. J’exprimai ce que j’éprouvais plus encore par mes regards que par mes paroles : elle m’intimidait et m’attirait à la fois. On sentait tout de suite en elle une personne parfaitement naturelle dans une nature supé-