Page:Cyvoct - Souvenirs de madame Recamier.djvu/68

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du général Bonaparte, rompre ouvertement avec un homme si haut placé, ce serait gravement compromettre et peut-être ruiner sa maison de banque : il conclut qu’il fallait ne point le désespérer et ne lui rien accorder.

Lucien ne plaisait point à Mme Récamier, mais elle était bonne et ne pouvait voir sans quelque pitié les angoisses qu’elle lui faisait éprouver ; elle était rieuse d’ailleurs, et, quoique les femmes soient disposées à l’indulgence pour les ridicules des gens vraiment amoureux d’elles, l’emphase de Lucien excitait parfois chez elle des accès de gaieté qui le démontaient ; d’autres fois ses violences lui faisaient peur. Ce rapport très-orageux dura plus d’une année. Las enfin d’une rigueur impossible à fléchir, et s’apercevant, à mesure que la certitude de ne rien obtenir éteignait sa passion, du rôle ridicule qu’il jouait, Lucien se retira. Le monde n’avait pas manqué de s’occuper de la passion très-affichée de Lucien ; il eut bien souhaité qu’on le crût l’amant favorisé de la plus célèbre beauté de l’Europe, et ses courtisans (car il en avait) s’étaient efforcés de le faire croire, heureusement sans parvenir à donner le change à l’opinion.

Mme Récamier n’ignora pas ces honteuses menées, et, bien que sa réputation sortît intacte de cette aventure, elle en éprouva une vive douleur ; ce fut son premier chagrin, et la première fois que cette