Page:Cyvoct - Souvenirs de madame Recamier.djvu/77

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Le dîner fut très-court : Bonaparte mangeait peu et très-vite ; au bout d’une demi-heure, Napoléon se leva de table et quitta la salle ; la plupart des convives le suivirent. Dans ce mouvement, il s’approcha de Mme Récamier, et lui demanda si elle n’avait point eu froid pendant le dîner ; puis il ajouta : « Pourquoi ne vous êtes-vous pas placée auprès de moi ? — Je n’aurais pas osé, répondit-elle. — C’était votre place. — Mais c’était ce que je vous disais avant le dîner, » ajouta Mme Bacciocchi. On passa dans le salon de musique. Les femmes y formèrent un cercle en face des artistes, les hommes se groupèrent derrière elles : Bonaparte s’assit seul à côté du piano. Garat chanta avec un admirable talent un morceau de Gluck. Après lui d’autres artistes se firent entendre. Le premier consul ennuyé de la musique instrumentale, à la fin d’un morceau joué par Jadin, se mit à frapper le piano en criant : « Garat ! Garat ! »

Cet appel ne pouvait qu’être obéi. Garat chanta la scène d’Orphée, et il se surpassa.

Mme Récamier, dont les impressions musicales étaient très-vives, captivée tout entière par ces merveilleux accents, ne pensait guère au public qui remplissait les salons. Cependant de temps à autre en levant les yeux, elle retrouvait le regard de Bonaparte attaché sur elle avec une persistance et une fixité qui finirent par lui faire éprouver un cer-