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sainte amitié et quel rôle l’affection chrétienne et inaltérable de Mathieu de Montmorency a tenu dans la vie de Juliette.

J’ai dit que Mme Récamier enfant avait connu M. de La Harpe chez sa mère : les grâces de son âge et les agréments de sa figure lui valurent dès lors, de la part du spirituel critique, une bienveillance et un intérêt dont il n’était pas prodigue ; mais il semble qu’il fut dans la destinée de Mme Récamier d’attirer invinciblement et de grouper autour d’elle les artistes et les hommes de lettres. Deux raisons y contribuèrent ; elle avait pour les productions littéraires un goût vif, naturel et juste, et elle en recevait une impression aussi spontanée que son jugement était sain. Le plaisir vrai que lui faisaient éprouver les beautés de l’art ou de la poéie, l’admiration naïve qu’elle exprimait dans un langage délicat, étaient une sorte d’encens qu’artistes, poëtes ou littérateurs aimaient fort à respirer.

De plus, cette personne, si dépourvue de prétention et de vanité, avait pour les souffrances de l’amour-propre une pitié et une sympathie qu’on ne leur accorde guère. Nul n’a su, comme Mme Récamier, panser ces blessures qu’on n’avoue pas, calmer et endormir l’amertume des rivalités ou des haines littéraires. Il est certain, et tous ceux qui l’ont approchée l’ont plus ou moins éprouvé, que, pour toutes les peines morales, pour toutes ces douleurs