Page:D'Hervey de Saint-Denys - Les Rêves et les moyens de les diriger, 1867.djvu/488

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forte dose, durant une longue maladie que je fis, j’ai constaté par moi-même cette transition graduée de rêves pesants et pénibles à d’autres rêves pleins d’idéalisme et d’enivrement.

Quant au hatchich, que j’eus la curiosité d’expérimenter en pleine santé, voici le premier rêve qu’il me procura :

« Il me semblait que quelque chose fût parti dans mon cerveau, comme le ressort d’une horloge détraquée, et que toute la chaîne de mes souvenirs voulut se dérouler d’elle-même avec une incohérence et une rapidité inouïe. Dans une rue au sol inégal, éclairée d’une lumière blafarde, je voyais défiler une suite interminable de gens habillés de noir ou vêtus de brillants uniformes, des valseurs vaporeux, des gueux horribles, des femmes couronnées de fleurs, assises sur des cercueils et promenées dans des corbillards ; et puis, des voitures qui s’arrêtaient devant moi avec leurs portières entr’ouvertes, comme pour m’engager à en profiter. Une mystérieuse attraction m’y attirait, mais, au moment d’y monter, je reculais avec une horreur indicible ; je ne sais quel instinct me disait qu’elles me conduiraient à quelque horrible chose. Je prenais alors le parti de marcher à pied, me heurtant à tous les passants, et me dirigeant rapidement vers un but où j’avais le sentiment qu’il était nécessaire d’arriver le plus tôt possible, sans pouvoir, toutefois, me rendre bien compte de ce qu’il était, ni sans oser non plus interroger à cet égard aucune des nombreuses personnes qui me coudoyaient, persuadé que dans chacune d’entre elles je devrais rencontrer un ennemi. J’arrive enfin à ce but inconnu, et je m’imagine me trouver avec une jeune dame dans l’appartement d’une autre, dont je redoute à tout instant le retour. De là, je suis transporté, je ne sais comment, dans un salon magnifique et splendidement éclairé.