Page:D'Hervey de Saint-Denys - Les Rêves et les moyens de les diriger, 1867.djvu/491

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Là, j’ai affaire à des douaniers de la plus étrange nature. Ils dardent leurs prunelles de feu jusqu’au fond de ma tète, car ce sont mes pensées qu’ils doivent sonder et non mes bagages. Une révélation intime ma appris que j’étais transporté dans un monde où l’idéal remplace le positif, où la contrebande est toute intellectuelle, où l’on s’approvisionne d’idées comme chez nous de comestibles. Je tremble que les douaniers ne fassent en moi quelque malencontreuse découverte ; et je crois aussitôt me souvenir de je ne sais quel crime que j’aurais commis. J’entre néanmoins ; on m’oblige seulement à laisser mon corps à la barrière. Je le vois mettre dans un casier avec une étiquette qui porte mon nom ; et je crois circuler dans la ville à l’état d’ombre, entendant les voix des gens invisibles comme je Tétais devenu moi-même, et croyant percevoir mille impressions étrangères au monde réel. Tantôt c’étaient des choses intellectuelles qui étaient cependant renfermée dans des boîtes d’or ou de plomb ; tantôt c’étaient des. objets essentiellement matériels qui se mouvaient d’eux-mêmes, et venaient converser avec moi. Et je croyais comprendre tout cela.

« Bientôt je me vois entraîné dans un amphithéâtre, où m’attendait le spectacle d’une affreuse opération chirurgicale. Elle devait s’accomplir sur un prisonnier qui avait essayé de soustraire son corps à la douane. Je me sens ému d’une pitié profonde à l’aspect de la victime, et puis, dès que l’opérateur plonge son premier coup de scalpel dans les chairs du patient, je ressens une douleur aiguë, et je reconnais que c’est moi-même qui vais endurer toutes les souffrances de cette atrocité. Je veux fuir, on m’a garrotté ; et le condamné me plaisante odieusement sur cette transposition de sensibilité qui s’est opérée à son profit. La violence de l’émotion me tire, je ne sais comment, de cette situation critique ; mais