Page:D'Hervey de Saint-Denys - Les Rêves et les moyens de les diriger, 1867.djvu/494

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je me trouve. Il me semble faire un songe éveillé, et voir se dérouler, comme à travers un brouillard répandu sur mes pensées, toute une série de réminiscences étroitement unies. J’en ai la conscience du moins, mais je ne perçois aucune idée assez nettement pour la distinguer. Je sens que si je pouvais en arrêter une, elle deviendrait aussitôt la clef de celles qui la précèdent et qui la suivent ; mais toutes s’enfuient sans se laisser saisir, autrement que par quelque vague abstraction qui ne m’apprend rien. N’est-ce point le songe sans les images, la même incohérence, les mêmes enchaînements spontanés de souvenirs ?

« Si je m’efforce de percer le brouillard qui enveloppe cette rêverie, je ressens immédiatement une douleur assez vive à la tête, et si je veux faire un retour vers la réalité, au lieu de laisser courir d’elles-mêmes mes pensées, j’ai comme perdu momentanément la mémoire des conditions de ma propre existence. Les choses que je sais le mieux m’échappent, et chaque impression passagère s’évanouit avec une rapidité si grande que plus d’une phrase que je voudrais jeter sur ce papier ne s’achève pas. Les phrases même que je griffonne en ce moment se tracent pour ainsi dire mécaniquement par la seule corrélation instinctivement établie entre les mots qui me viennent dans la tête et les signes de l’écriture qui y correspondent, car je n’ai pas assez de liberté d’esprit pour réfléchir à ce que j’écris. Veut-on conserver quelque soutenir de cet étrange chaos, il faut donc laisser courir la plume aussi vite que possible, sauf à relire plus tard ces impressions fugitives, et à comprendre ce que l’on pourra. Le champ de mes pensées me semble comme un rideau blanc sur lequel passeraient, sans y laisser de trace, les images d’une lanterne magique dont les clichés coloriés ne seraient certainement pas perdus pour être retirés, mais disparaîtraient