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MÉMOIRES D’UN PAYSAN BAS-BRETON

Bretons, surtout ceux qui se croient un peu riches ou qui croient en savoir plus que les autres.

Maintenant que la mèche était vendue et que j’étais mis à mon aise par M. le maire, je n’avais plus besoin d’aller me cacher dans le grenier ou dans les champs pour étudier. Mais j’avais trouvé un embarras, cet embarras dont j’ai parlé plus haut, bien plus grand que celui d’aller me cacher dans les greniers. La jeune mineure, héritière d’une centaine de mille francs, avait pris avec moi, depuis quelque temps déjà, certaines familiarités qui me contrariaient beaucoup. Mais, à partir du jour où elle avait découvert le mystère, ce fut bien pis encore : je ne pouvais plus aller nulle part, dans les champs, au travail, sans qu’elle fût auprès de moi à m’agacer, à me tourmenter, à me faire toute sorte de niches. Cela était d’autant plus importun et plus pénible pour moi, que je ne pouvais, ou que je croyais ne pas pouvoir y répondre ni me défendre, trouvant qu’un pauvre valet de ferme de la plus basse extraction commettrait un crime en touchant ou en plaisantant une si riche héritière. Cela dura ainsi pendant tout l’été, pendant la fenaison et la moisson qui eurent lieu de très bonne heure, cette année de 1854.


IV

JE M’ENGAGE


C’est alors que je résolus de tenter l’essai pour entrer dans l’armée, tant pour me soustraire aux importunités de la jeune héritière, qui devenaient de jour en jour plus gênantes, que pour mettre à exécution le projet, depuis longtemps arrêté dans ma tête et toujours remis par crainte d’un refus. L’occasion était bonne. La moisson était terminée : on ne pouvait pas me reprocher de vouloir me soustraire aux rudes travaux de la récolte. Et puis on parlait beaucoup de la guerre déjà déclarée entre les Russes et les Turcs, et à laquelle la France et l’Angleterre, nous disait le maire, allaient aussi prendre part.

C’est vers ce temps-là qu’on avait posé le premier fil télé-