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Résigné peut-être, mais lourd d’amertume, le poète évoque le convoi sans honneur du malchanceux, image de l’artiste hier maltraité par la vie et demain voué par la mort aux rigueurs de l’oubli. L’histoire en offre maints exemples. Maternelle pour ceux-ci, elle n’est pour ceux-là qu’une marâtre. Dès lors, à quoi bon se défendre ? Le monde n’est-il pas coalisé contre vous ? Tout mets cache un poison, toute pierre une embûche, toute fleur un reptile. Et le poète juge sa vie d’un œil clairvoyant. Platitude et banalité en font un tableau « encore plus sinistre et plus noir ». Si d’autres, élus du sort, obtiennent la faveur « de faire jusqu’au ciel monter un monument », lui n’aspire qu’à l’oubli et c’est dans un appel au néant qu’il va s’abîmer, enveloppant l’univers dans les vagues d’un nouveau déluge contre lequel le Christ lui-même ne prévaudra pas.

L’idée même de ce morceau : la malédiction dont le poète est l’objet, a passé dans un des premiers poèmes des Fleurs du Mal. Seulement, aux yeux de Baudelaire, il s’agit d’une réprobation domestique, familiale :


Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu qui la prend en pitié…
Sa femme va criant sur les places publiques…


Mais, pour être moins universelle, moins « cosmique », cette réprobation n’en est que plus