Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/101

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jansénistes, qui viennent de les égorger, mais qui de leur côté sont depuis longtemps aux abois, mourront bientôt comme le sanglier sur le cadavre de leur ennemi.

Ce sont pourtant de pareils hommes qui se vantent, on ne sait pas pourquoi, de trouver des protecteurs dans les parlements : pour l’honneur de la nation et de la magistrature, cette prétention doit être réduite à ses justes bornes. Les parlements, attachés aux maximes du royaume, se sont élevés contre la bulle qui attaque ces maximes ; ils se sont opposés en conséquence au refus de sacrements, dont cette bulle était le prétexte ; ils ont en cela protégé les jansénistes, comme ils protégeraient le dernier citoyen auquel son curé refuserait le viatique par des raisons d’animosité particulière ; mais les magistrats ont d’ailleurs trop d’affaires et de trop importantes, pour prendre quelque intérêt au sens de Jansénius ; aux disputes sur la grâce prévenante ou versatile ; aux gambades de S. Médard, et aux autres balivernes de cette espèce. C’était surtout ainsi que pensait l’illustre abbé Pucelle, comme l’assurent des gens très dignes de foi, qui l’ont bien connu ; il avait trop d’esprit et de lumières pour ne pas voir le fanatisme partout où il était ; tandis qu’en bon Français, il réclamait au parlement contre la bulle Unigenitus et les maux qu’elle a causés, on lui a plusieurs fois entendu dire dans la conversation, que ce serait un grand mal de donner aux jansénistes trop d’existence ; qu’il ne fallait pas les persécuter, mais qu’il fallait encore moins les mettre à portée d’en persécuter d’autres ; qu’ils étaient par la dureté de leur caractère plus disposés encore que les Jésuites à abuser du pouvoir qu’ils auraient en main. Voilà précisément, monsieur, ce que j’ai osé dire à leur sujet, et je me trouve heureux d’avoir en cela pour garant un magistrat si célèbre et si respectable.

Il ne faut donc pas que les jansénistes s’y méprennent ; si on a détruit la société, ce n’est ni par amour pour eux, ni par estime, ni même par aucune sorte d’intérêt en leur faveur ; c’est parce que la société avait trouvé le secret d’animer toute la nation contre elle. Voulez-vous anéantir vos ennemis ? le plus sûr moyen n’est point de vous faire aimer, mais de les faire haïr. Voilà ce qui a fait le bonheur des jansénistes ; c’est d’avoir eu des ennemis détestés : mais qu’ils ne se flattent pas pour cela d’avoir gagné ni la bienveillance, ni la considération publique ; c’est un petit avis qu’on croit devoir leur donner, et dont on espère qu’ils profiteront pour être sages.

Je dois cependant, monsieur, une sorte de réparation aux jansénistes, sur l’intolérance générale que je leur ai reprochée : cette intolérance n’est pas absolument sans exception pour quel-