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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/33

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assez peu dignes du nom qu’ils portaient pour se faire jésuites, comme un Charles de Lorraine et plusieurs autres ; leur nom a servi du moins de décoration à l’ordre, s’il n’a pu y être bon à autre chose ; on pourrait les appeler les honoraires de la société.

Deux autres raisons semblent avoir contribué à donner aux Jésuites sur tous les autres ordres l’avantage d’un plus grand nombre d’hommes estimables par leurs talents et leurs ouvrages, la première c’est la durée du noviciat, et la loi qui ne permet pas de se lier par les derniers vœux avant trente-trois ans ; les supérieurs ont plus de temps pour connaître les sujets, pour les juger, et pour les tourner vers l’objet auquel ils sont le plus propres ; ces sujets d’ailleurs, engagés dans un âge mûr, après une longue épreuve et tout le temps nécessaire pour la réflexion, sont moins exposés au dégoût et au repentir, plus attachés à la compagnie, et plus disposés à employer leurs talents pour sa gloire, et pour la leur, qui ne vient qu’après.

Une seconde raison de la supériorité des Jésuites sur les autres ordres en fait de sciences et de lumières, c’est qu’ils ont tout le temps de se livrer à l’étude, jouissant sur ce point d’autant de liberté qu’on peut en jouir dans une communauté régulière, n’étant point assujettis, comme les autres religieux, à des pratiques de dévotion minutieuses, et à des offices qui absorbent la plus grande partie de la journée. Si on ne savait que la haine fait armes de tout, on aurait peine à croire que durant leur grand et funeste procès, on leur ait fait sérieusement un crime, dans quelques brochures jansénistes, de ne pas s’assembler comme tant d’autres moines pour dire en commun matines et complies ; comme si une société religieuse, dont le premier devoir est d’être utile, n’avait rien de mieux à faire que de chanter ennuyeusement de mauvais latin plusieurs heures par jour. On dira peut-être que des religieux sont uniquement faits pour prier ; à la bonne heure : en ce cas qu’on les enferme dans leurs maisons pour y prier tout à leur aise, et qu’on les empêche de se mêler d’autre chose.

Cette suppression d’office et de chant chez les Jésuites, avant que d’être contre eux un sujet de reproche, en avait été un de plaisanterie, suivant le génie de notre nation ; les Jésuites, disait-on, ne savent point chanter, parce que les oiseaux de proie ne le savent pas ; ce sont, disait-on encore, des gens qui se lèvent à quatre heures du matin pour réciter ensemble les litanies à huit heures du soir. Les Jésuites ont eu le bon esprit de rire les premiers de ces épigrammes françaises, et de ne rien changer à leur manière de vivre ; ils ont cru plus utile et plus honorable