Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/14

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joui de sa gloire ; Corneille, dégoûté du théâtre, et n’y rentrant que pour s’y traîner avec de nouveaux dégoûts ; Racine, désespéré par ses critiques ; Quinault, victime de la satire ; tous enfin se reprochant d’avoir perdu leur repos pour courir après la renommée. Voilà, pourrait-on dire aux jeunes littérateurs, le sort qui vous attend si vous ressemblez à ces grands hommes. Peut-être après la lecture d’un pareil livre, serait-on tenté de fermer pour jamais les siens, comme on allait se tuer autrefois au sortir de l’école de ce philosophe mélancolique, qui décriait la vie au point d’en dégoûter ses auditeurs, et qui gardait pour lui le courage de ne se pas tuer.

Il est vrai que dans ce triste et effrayant tableau, où l’on tracerait avec les couleurs de l’éloquence les malheurs essuyés par les gens de lettres, il faudrait bien se garder, pour ne pas manquer son but, d’y opposer les marques d’honneur, de considération et d’estime que les talens ont reçus tant de fois. Mais l’éloquence n’en use pas autrement ; elle ne peint jamais que de profil.

La raison l’admire sans lui céder ; elle s’en amuse et s’en défie. Eclairés par cette raison froide, mais équitable, écoutons-la dans le silence. Envisageons d’abord l’étude en elle-même, et bornons-nous, dans cet écrit, à quelques réflexions moitié tristes, moitié consolantes, sur les dégoûts qu’on y éprouve, et sur les ressources qu’on peut y trouver.

La paresse est naturelle à l’homme. On objectera qu’il est condamné au travail ; mais, puisqu’il y est condamné, ce n’était donc pas sa première destination. Semblable à un pendule qu’une force étrangère a tiré de son repos, il tend à y revenir sans cesse. Mais, pour suivre la comparaison, ce même pendule, une fois éloigné de sa situation naturelle, y retombe mille fois sans s’y arrêter, jusqu’à ce que son mouvement, ralenti peu à peu par le frottement et par la résistance, soit enfin totalement détruit. Il en est de même de l’homme ; sans cesse le penchant le ramène au repos, et sans cesse l’agitation que ses désirs lui ont imprimée, l’en fait sortir pour le chercher encore, jusqu’à ce que son âme, usée peu à peu par ces désirs mêmes, et par la résistance qu’elle a éprouvée pour les satisfaire, jouisse enfin d’une triste et tardive tranquillité. Nous portons deux hommes en nous, un naturel et un factice. Le premier ne connaît d’autres besoins que les besoins physiques, d’autres plaisirs que celui de les contenter, et de végéter ensuite sans trouble, sans passions et sans ennui. L’homme factice, au contraire, a mille besoins d’institution, et pour ainsi dire métaphysiques, ouvrage de la société, de l’éducation, des préjugés, de