Page:Dabit - L'hotel du nord, 1929.djvu/29

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— Vous pouvez vous estimer heureux, disait Mme Goutay. Bien des commerçants sont mal logés. L’ouvrier ne s’en doute pas, il croit que tout est rose pour nous. Eh bien, non, le métier de commerçant n’est pas si rose que ça… Je ne veux pas vous décourager, mais c’est la vérité. Faut être à la disposition de tous, rendre des services, écouter les cancans. Sans ça, le client vous lâche. Jamais tranquilles, toujours à la merci d’un homme saoul. Quant aux dimanches, ici, bernique !

Les Lecouvreur n’écoutaient pas ce bavardage. En eux couvait l’impatience du paysan qui va prendre possession d’un bien longtemps convoité.

Lecouvreur avait noué un tablier bleu sur son ventre, retroussé ses manches de chemise, enfoncé sa casquette sur les yeux pour en imposer davantage. M. Goutay, près du comptoir, le mettait au courant. Ils inventoriaient les apéritifs : l’amourette, le junod, l’anis del oso qui remplacent l’absinthe d’avant-guerre ; le byrrh, le quinquina, le dubonnet, boissons inoffensives ; le vermouth, l’amer, le cinzano, et tant d’autres flacons dont l’éclat bariolé amusait l’œil avant de tenter la soif.