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C’est un usage établi parmi eux de prolonger l’apéritif matinal jusqu’à l’apparition du patron. Le voici qui surgit sur le seuil, la moustache en bataille et le fouet à la main. Non que cet attribut soit le moins du monde symbolique ; Latouche, par une exception singulière à la coutume, est un homme presque courtois qui remplace la brutalité par des phrases habiles.

En cinq minutes, il a rallié son personnel, distribué la besogne sans s’être accordé un apéritif, ce qui inspire aux Lecouvreur un mélange indécis de rancune et d’admiration.

De son poste, vitré comme un aquarium, Julot, l’éclusier, guette le départ des camionneurs. Est-ce le fait de vivre dans une loge ouverte à la rumeur du quartier qui lui donne l’humeur médisante d’une commère ? Flatteur, verbeux, soufflant à pleine bouche la délation et le scandale, Julot appelle Louise Lecouvreur « ma tante » et son mari « Mimile ». Il gesticule sur le quai et gueule d’un trottoir à l’autre, interpellant ses connaissances :

— Eh vieux ! tu paies un verre !

Paré du prestige de ceux qui exercent une fonction publique, Julot est redouté des bateliers. Comme ces augures qui ne daignaient