Page:Dabit - L'hotel du nord, 1929.djvu/79

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dans ses veines. À la table voisine, des jeunes gens se vantent bruyamment de leurs aventures. Il les écoute… Il a été jeune, il a été un apprenti, lui aussi.

Il travaillait rue du Pas-de-la-Mule, chez un imprimeur. Dans ce temps-là, on faisait la journée de dix heures, fallait pas rechigner à l’ouvrage. À midi, il déjeunait au restaurant ; il expédiait son repas pour aller fumer une cigarette sur un banc de la place des Vosges, avec son camarade Michel qui s’amusait à le faire rougir en lui parlant de femmes. Lui, à peine s’il osait lever les yeux pour regarder une jeune fille… C’était loin tout ça ! L’apprentissage, la mort du père, le service… À son retour du régiment, il s’était fiancé. Une jolie fille, Marcelle. Il la rencontrait souvent rue de Belleville. Il ne se souvenait plus très bien comment ils avaient fait connaissance, mais un dimanche après-midi, ils étaient sortis ensemble, elle et lui…

Le père Deborger ferme les yeux. Il voit Marcelle dans l’herbe, les bras nus, le visage rayonnant de jeunesse.

… Il l’avait épousée. Chaque soir, il rentrait vite du travail, tremblant d’admiration, de reconnaissance. Puis un jour…