Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
LE VERGER

André, le polytechnicien, pleure comme un petit pensionnaire. La mère de Jacques revient sans cesse à la charge ; il n’est pas d’endroit de ce visage qu’elle n’ait couvert de ses baisers. Jacques compose de sa famille une dernière image, fidèle à ce qu’il sait du passé.

Il serre la main de Lucien Voilard, correct, maître comme toujours de la vie et des émotions inutiles.

Le temps est doux et humide et de grandes taches brunes rampent sur le ciment du quai. Le chef de train tire son chronomètre ; de rapides frissons courent sur la foule.

— Regardez, il dit bonjour à son père.

Le Père Jean s’approche de son père ; il est fils unique ; deux colosses, l’air dégagé, campés fermement sur un sol qui se dérobe. Ils savent ce qu’ils font. Le Père Jean s’incline d’abord vers une dame au collet de fourrure, sa mère, qu’on ne voyait pas, et la baise en y mettant la douceur d’une femme qui se penche sur un berceau. Il embrasse son père brièvement, avec une vigueur où passe une longue affection et le voilà sur le marchepied. Il sourit près du Père Beaudry, le troisième partant. Le chef de train, aidé des contrôleurs, écarte les gens du convoi qui s’ébranle.

Le Père Beaudry, court et carré, les épaules engoncées dans son complet neuf, ne s’est pas reposé de la journée. On lui a dit, il n’a pas écouté ; il n’écoutait plus personne. Et lorsque sa sœur, une enfant presque, échappe à la poigne du contrôleur et s’élance sur le marchepied pour l’embrasser encore une fois, de gros-