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LE VERGER

éclats de fanfare et les petits moricauds battent des mains.

Voici que sur la côte enténébrée de Beauport, une flamme rampe vacillante, puis se relève, folle de joie. C’est le signal. Depuis Lévis jusqu’à Saint-Michel, de Montmorency à la Canardière, sur les battures et dans la campagne, les feux percent la nuit et entrent dans la ronde. Vingt reflets messagers courent sur les eaux en sandales de vermeil et chantent à tous les vents que le feu venu de France brûle toujours au pays de Québec.

Le paysage renaît.

Les enfants reçoivent l’ordre de s’éloigner. On entend un bruit sec ; les flammèches pointent entre les branches et lapent l’odeur d’orage qui suinte de la grève entre les marées. Les crépitements se fondent en un tourbillon ; des papillons d’or, par milliers, survolent la pointe de l’île et s’évanouissent comme une poudrerie. Les étoiles se sont éteintes et une nuée pourpre s’appesantit sur les rochers.

Jacques se déprend de cette féerie et revient vers la route. Des aurores et des ombres mordorées sarabandent sur le mur de béton, sur les costumes d’été, dans la profondeur des visages brunis. Le silence a déferlé sur la foule et noyé les derniers murmures ; il dessille au fond de l’âme des yeux que la brutalité du monde a fermés. Jacques penche la tête sur sa chemise déchirée, sur son pantalon de treillis, et lance un regard vers le parapet ; il croit entendre Maurice causer à mi-voix, avec esprit ; les mots ne lui ont jamais manqué à Maurice, c’est un fait. Maurice est un bon ami tout de même. Jacques se détourne