Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de peur que ses yeux trahissent les étincelles de joie qui brillent au fond de lui-même et qu’il pèse déjà comme des joyaux.

Une clameur retentit derrière lui :

— Mon oncle Paul ! Mon oncle Paul !

L’oncle Paul, en tenue de golf, dévalait l’escalier de grève ; il reployait ses mains noueuses sur les chevilles et les poignets d’un mioche à califourchon sur sa nuque. Les garçonnets s’étaient abattus sur lui et lui éperonnaient les côtes de leurs doigts pointus. Des fillettes sautillaient tout autour sur leurs jambes hâlées de sauterelles, battaient des entrechats et poussaient des cris aigus. L’oncle Paul chantait :

À Saint-Malo, beau port de mer,
À Saint-Malo, beau port de mer,
Trois beaux navires sont arrivés,
Nous irons dans l’île, nous y prom, promener,
Nous irons jouer dans l’île.

Et les enfants reprenaient avec lui :

Nous irons dans l’île, nous y prom, promener,
Nous irons jouer dans l’île, dans l’île, dans l’île…

L’oncle Paul étend les bras vers ses plus proches voisins ; des mains soudent autour du brasier les maillons d’une chaîne mouvante et frêle. Des grandes personnes aux pieds lestes crient de les attendre et, la face écarlate, enfouissent dans leurs paumes humides les menottes des petits. On alimente la flamme qui claque pour stimuler les danseurs ; une épinette embrasée s’abat avec fracas et l’ambre des bluettes gicle dans une senteur roussie de gomme et de résine. Les diablotins s’adonnent à des frétillements de feux-follets pris au canif sur les pieux de clôtures.