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LE VERGER

ses contrevents rouges rabattus derrière des haies de chèvrefeuille. À mesure qu’il approchait, Jacques se composait une attitude ; il crachait son brin de mil, pressait le pas dans la crainte de rencontrer quelqu’un. L’écho d’une chanson, une porte qui battait, la moindre brisure de la solitude, lui étaient une menace. Il rejoignait bientôt le carrefour beige, et s’en voulait d’avoir forcé la marche. Il revenait au Verger, l’air absent, surpris de son audace. Il trouvait le jeu enfantin et recommençait aussitôt.

Un matin, après avoir vagué à travers un boqueteau d’érables où ramageait un invisible pinson à gorge blanche, Jacques atteignait le carrefour, lorsque l’émoi bien connu le ressaisit, tout de bon. Là-bas, sur la chaussée couleur de chaume, deux jeunes filles s’avançaient. Louise et sa sœur reconnurent Jacques et lui adressèrent un salut de la main. Il ne les avait pas revues depuis les quelques bribes de conversation sur le perron de l’église, à l’issue de la messe, le dimanche après la Saint-Jean. Estelle portait un gros pain sous le bras :

— Jacques, que fais-tu ? Nous ne te voyons plus.

Et Louise :

— Depuis le soir de la Saint-Jean !

Elle allait ajouter qu’elle l’avait aperçu devant la Saulaie, quelques jours auparavant, alors qu’elle cueillait des fleurs dans le jardin, qu’elle était trop éloignée de la route et qu’elle n’avait pas osé le héler. Ses idées s’embrouillèrent si bien qu’elle ne put ajouter un mot.

— Alors, dit Estelle, tu viens tout de suite visiter notre villa. Maman veut te rencontrer.