de celui qui traversait le Styx à pied sec. Il s’avançait, et repoussait avec un pénible dédain les vapeurs grossières qui offusquaient sa vue.
Aussitôt je me tournai vers mon guide ; et au signe qu’il me fit, je m’inclinai dans le silence et le respect, en présence de l’envoyé des Cieux. Je le vis s’approcher d’un air courroucé et toucher avec sa baguette les portes infernales, qui s’ouvrirent sans résistance. Debout sur leur horrible seuil, il dit à voix haute :
— Race odieuse, que le Ciel rejeta, qui peut donc réveiller votre antique orgueil ? Pourquoi vous opposer à cette volonté qui ne ploya jamais, et qui tant de fois s’est appesantie sur vos têtes ? A quoi sert de heurter sa destinée ? Votre Cerbère, s’il vous en souvient, porte encore les marques de sa folle résistance[5].
À ces mots, il passe et franchit devant nous la surface écumeuse, sans nous parler ; tel qu’un homme absorbé tout entier dans sa pensée, et qui ne voit rien autour de lui.
Cependant la puissance de sa parole nous avait rassurés, et nous entrâmes sans obstacle dans la noire enceinte.
Désireux de connaître ce nouveau séjour, j’avançais, regardant de toutes parts : mais je ne découvris qu’une plaine immense, qui se prolongeait devant moi comme une vaste scène de désolation.