Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/143

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— Plonge-toi dans cette ouverture, me dit le sage, nous passerons tandis que le spectre s’agite près de nous.

Alors nous descendîmes dans ces âpres sentiers : ils étaient couverts de débris et de roches mobiles, qui, ne pouvant résister au poids de mon corps, se dérobaient sous mes pieds. Le sage poëte vit mon étonnement et me parla ainsi :

— Ces marques de destruction et de ruine ont frappé tes regards sans doute ; apprends donc qu’au moment de ma première descente, ce rocher n’était pas ainsi fracassé [1]. Mais la grande Ombre, qui vint arracher aux Enfers tant d’illustres captifs ne s’était point encore montrée aux habitants des Limbes, quand tout à coup les profondes cavités de l’abîme s’ébranlèrent ; et je crus, dans ce tremblement universel, que le temps avait ramené ces crises de repos et de mort où doit un jour rentrer la nature [2]. C’est alors que cette antique roche s’entr’ouvrit, et s’écroula… Laisse à présent tomber tes regards au fond du gouffre ; voici le fleuve de sang dont les ondes bouillantes abreuvent à jamais les tyrans du monde.

Ô vertiges insensés ! transports aveugles, qui agitez si impétueusement notre courte existence, et la précipitez dans ce lac d’éternelle douleur ! J’ai vu, suivant la parole de mon guide, le fleuve redoutable embrasser les