Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/153

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L’esprit se tut ; et, après un court silence, mon guide me dit :

— Hâte-toi de l’interroger encore, s’il te reste quelque désir ; le temps est cher.

— Hélas ! répondis-je, daignez plutôt l’interroger pour moi ; car mon âme succombe à la pitié.

Le sage prit donc ainsi la parole :

— Ombre prisonnière, si tu désires que ce mortel ne méprise pas ton dernier vœu, ne refuse point de nous dire par quels invisibles noeuds des esprits s’attachent à des troncs ; et si jamais un seul a pu rompre cette inconcevable alliance ?

Le vieux tronc soupire avec effort, et le souffle qu’il exhale nous porte cette réponse :

— Mon entretien sera court. Quand une âme furieuse a rejeté sa dépouille sanglante, le juge des Enfers la précipite au septième gouffre : elle tombe dans la forêt, au hasard ; et telle qu’une semence que la terre a reçue, elle germe et croît sous une forme étrangère. Arbuste naissant, elle se couvre de rameaux et de feuilles que les harpies lui arrachent sans cesse, ouvrant ainsi à la douleur et aux cris des voies toujours nouvelles. Nous paraîtrons toutes au grand jour ;

mais il nous sera refusé de nous réunir à des corps dont nous nous

sommes volontairement séparées. Chacune traînera sa dépouille dans cette forêt lugubre, où les corps seront tous suspendus :