Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/35

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arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme.

Dante a versifié par tercets ou à rimes triplées, et c’est de tous les poëtes celui qui, pour mieux porter le joug, s’est permis le plus d’expressions impropres et bizarres ; mais aussi, quand il est beau, rien ne lui est comparable. Son vers se tient debout par la seule force du substantif et du verbe, sans le concours d’une seule épithète[1].

Si les comparaisons et les tortures que Dante imagine sont quelquefois horribles, elles ont toujours un côté ingénieux, et chaque supplice est pris dans la nature du crime qu’il punit. Quant à ses idées les plus bizarres, elles offrent aussi je ne sais quoi de grand et de rare qui étonne et attache le lecteur. Son dialogue est sou-

  1. Tels sont sans doute aussi les beaux vers de Virgile et d’Homère ; ils offrent à la fois la pensée, l’image et le sentiment : ce sont de vrais polypes, vivants dans le tout, et vivants dans chaque partie ; et dans cette plénitude de poésie, il ne peut se trouver un mot qui n’ait une grande intention. Mais on n’y sent pas ce goût âpre et sauvage, cette franchise qui ne peut s’allier avec la perfection, et qui fait le caractère et le charme de Dante.