Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/65

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formaient un si lugubre murmure, que je ne pus retenir mes larmes. Bientôt la confusion des langues, les horribles imprécations, les accents de la rage et les cris du désespoir, les hurlements perçants et affaiblis, mêlés au choc impétueux des mains, agitèrent tumultueusement cette noire atmosphère, comme les tourbillons de sable emportés par les vents [2].

Éperdu de terreur, je m’écriai :

— Maître, qu’entends-je ! et qui sont ceux qui vivent ainsi travaillés de douleurs ?

— Ce sont, me dit-il, les âmes qui vécurent sans vertus et sans vices : elles sont ici confondues avec cette légion qui garda jadis la neutralité entre les anges de Dieu et les esprits rebelles [3]. Le ciel rejeta ces lâches enfants qui souillaient sa pureté, et l’abîme leur refusa ses profondes retraites, de peur que les coupables ne se glorifiassent d’avoir de tels compagnons de leurs peines.

— Qui peut donc, repris-je, leur arracher ces cris désespérés ?

— Apprends en peu de mots, ajouta mon guide, que ces infortunés n’attendent pas une seconde mort ; et qu’oubliés à jamais dans cette ombre de vie, il n’est point de condition qui ne leur semblât plus douce. La clémence et la justice les dédaignent également ; le monde n’a pas même conservé leurs noms ; taisons-nous sur eux aussi ; mais jette un coup d’œil, et passe.