Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/86

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souvenir amer, dont s’irrite encore ma douleur ! mais c’est au fond de l’abîme, à côté de Caïn, qu’ira s’asseoir mon parricide époux.

Ainsi parlait cette ombre, d’une voix douloureuse ; et moi je baissai la tête avec tant de consternation, que le poëte me dit :

— A quoi penses-tu ?

— Hélas, répondis-je, en quel moment et de quelle douce ivresse ils ont passé aux angoisses de la mort !

Levant ensuite mes yeux sur eux :

— Ô Françoise, repris-je, le récit de vos malheurs m’invite à la pitié et aux larmes ; mais dites-moi, quand vos soupirs secrets se taisaient encore, comment l’amour a-t-il osé vous parler son coupable langage [8] ?

— Tu as appris d’un sage, me répondit-elle, que le souvenir de la félicité passée aigrit encore la douleur présente ; et cependant, si tu aimes à contempler nos infortunes dans leur source, je vais, comme les malheureux, pleurer et te les raconter. Nous lisions un jour, dans un doux loisir, comment l’amour vainquit Lancelot. J’étais seule avec mon amant, et nous étions sans défiance : plus d’une fois nos visages pâlirent et nos yeux troublés se rencontrèrent ; mais un seul instant nous perdit tous deux. Lorsqu’enfin l’heureux Lancelot cueille le baiser désiré, alors celui qui ne me sera plus ravi colla sur ma bouche ses lèvres tremblantes, et nous laissâmes échapper