Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/93

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ses griffes aiguës et les engloutit dans ses vastes flancs [1].

Dès qu’il nous aperçut, il souleva la masse de son corps et nous présenta ses trois gueules béantes et leurs dents recourbées. Mais le sage de Mantoue, portant ses mains vers la terre limoneuse, se releva pour en jeter dans les avides gosiers du monstre : et tel qu’un dogue famélique s’apaise en saisissant sa proie, tel le chien infernal baissa ses lourdes têtes, dont les rauques abois assourdissent les ombres.

Nous marchions cependant au-dessus des malheureux harcelés de l’orage et nos pieds foulaient les simulacres des peuples entassés. Dans ce bourbier, où les âmes étaient confusément gisantes ; une seule se releva à moitié devant nous, et s’écria :

— Ô toi qui as pu descendre en ces lieux, reconnais-moi ; car tu m’as vu avant ma mort !

— Tes souffrances, lui répondis-je, t’ont sans doute assez changé, pour que mon œil te méconnaisse. Mais dis-moi plutôt qui tu es, toi que je vois ici livré à des peines qui, pour n’être pas excessives, n’en inspirent pas moins un si triste dégoût.

— C’est dans ta patrie, me dit-il, que j’ai respiré la douce clarté des cieux ; dans cette ville où les crimes de la discorde sont montés à leur comble. Nos citoyens me nommaient